« C’est qui la blonde derrière ? » Tout en sachant qui se trouvait dans le champ de la webcam, Dany se tourne et sourit à Cléo qui vient d’entrer. « C’est ma colocataire, je t’en ai parlé maman. » La blonde s’approche, dépose une légère bise sur la joue de la brune avant de la laisser seule dans le salon en vidéoconférence. Elle parlait à ses parents, ou principalement à sa mère tous les dimanches en fin d’après midi depuis déjà trois mois qu’elle était en France. Il lui arrivait de se sentir seule, étrangère mal intégrée mais la plupart du temps, elle était heureuse de sa décision. « Je croyais que tu restais avec Sarah, que si la relation longue distance met en échec de nombreux couples, le votre était assez fort pour résister. » Entendre sa mère utiliser exactement le discours qu’elle lui avait sorti avant de partir était assez étonnant et quelque peu flippant à vrai dire. « C’est le cas, c’est juste une amie.» Le regard de reproche que lui lança sa mère était tout aussi révélateur qu’un long discours et Danielle se tortilla mal à l’aise sur sa chaise. Cléo était simplement une amie. Très bonne, certes, mais elle était amoureuse de Sarah, jamais elle ne tenterait quoi que ce soit avec la blonde, elle n’en avait même pas envie. « Je l’ai vu d’ailleurs l’autre jour. Elle était avec cette jolie rousse, tu sais qui habite en haut de notre rue. » Pendant quelques instants, Dany fixa l’écran, interdite, ne sachant quoi dire. « Défini avec. » Sa voix était étonnement atone pour la foule de sentiment qui l’habitait en cet instant. Sa mère, étrangère à son ouragan intérieur babilla sans s’arrêter sur cette jeune femme particulièrement délicieuse qui fait des cookies à se damner. Danielle ne savait pas cuisiner. Ce n’était un secret pour personne, elle était une catastrophe aux fourneaux et était connu de tous les restaurants qui livrent à Fairview. Cela ne l’avait jamais vraiment dérangé jusqu’à ce qu’elle entende que cette rousse faisait des cookies délicieux. C’était stupide, Sarah n’allait pas la quitter parce qu’elle ne savait pas cuisiner ni sortir avec la rousse pour quelques malheureux cookies mais son esprit ne pouvait s’empêcher d’imaginer les deux jeunes femmes en train de la narguer, un panier de cookies à la main. Étonnement, la rousse ressemblait trait pour trait à Bree Van de Kamp ce qui rendait les choses encore un peu plus irréelles. « Maman, je dois y aller. » Dany fit un grand effort pour lui offrir un sourire avant de fermer la fenêtre de Skype pour en ouvrir une autre. Elle espérait sincèrement que Sarah soit là, elle avait besoin de la voir, de l’entendre. Dieu qu’elle lui manquait c’était affreux.

Allongée sur son lit, Dany observe son plafond depuis près de trois heures sans avoir bougé d’un poil. Respirer lui semble déjà impossible. « Dany ? » La voix étouffée de Cléo lui parvient mais elle ne trouve ni l’envie, ni la force de lui répondre. A quoi bon ? Et effectivement, la blonde passe la tête par la porte quelques secondes plus tard. Danielle tourne la tête vers elle et c’est seulement en sentant une larme dans son cou qu’elle se rend compte qu’elle pleure. « Dany… » La voix de Cléo se fait moins assurée, elle a baissé le ton comme si cela changeait la donne. Finalement la française s’approche, s’allonge aux côtés de Dany et lui tient la main. Fort. Sans un mot. Réconfortée par une présence féminine, les larmes de la brune se tarissent, laissant place à la curiosité de Cléo. « C’est parce que Sarah est partie ? » Un soupir passa ses lèvres, et elle aurait voulu pouvoir évacuer la douleur tout aussi facilement que l’air. Mais ce n’était pas aussi facile. Il y a quelques jours, elle ouvrait les yeux dans les bras de Sarah, rêve éveillé. Elle avait redécouvert sa peau, son odeur, s’était lovée entre ses bras, avait tout oublié contre son corps chaud. Et aujourd’hui elle était seule, et son cœur pleurait, seul, et froid. « C’est parce que je suis célibataire. » Sa voix se fait murmure. Le dire à voix haute, c’est l’avouer, c’est y croire. Mais comment faire ? Elle partageait la vie de Sarah depuis plus de quatre ans. Elle était son univers, son repère. Elle était là pour partager ses joies mais aussi ses déceptions. Elle avait prit l'habitude de la chercher du regard dès qu’elles étaient dans la même pièce simplement pour se sentir mieux. Le son de sa voix lui était si familier qu’elle aurait pu la trouver dans une pièce pleine de sons. L’odeur de sa peau était son refuge, ses bras son carcan contre le monde. « Oh mon dieu. » Dany se redresse et serre ses genoux contre sa poitrine. Comme si cela pouvait apaiser la détresse qui s’emparait doucement d’elle. « Comment je vais faire ? » Sarah était une évidence. Elles allaient se marier, adopter un enfant ou le concevoir, cela lui était égal. Acheter leur maison, passer noël chez les Carstairs qui inviteraient ses parents tous les ans. Leur fille aurait été une danseuse émérite, comme sa mère. Sarah était à ses côtés dans le futur qu’elle s’était imaginé, à chaque étape, à chaque pas. « C’est la femme de ma vie Cléo. Je le sais. » Soudainement paniquée à l’idée de la perdre pour de bon, Dany se lève et se met à frénétiquement chercher son portable dans tous les coins en marmonnant dans sa barbe des phrases incompréhensibles. C’est sa colocataire qui l’arrête, la tenant par les épaules à bout de bras. « Tu n’es pas seule Dany. Sarah est partie mais tu n’es pas seule. » La solitude. Était-ce de ça dont elle avait si peur ? Non. La solitude ne lui faisait pas peur. Une vie sans Sarah la terrorisait à contrario. Pourtant, elle hocha la tête et essaya de se calmer. C’était une dispute, une stupide dispute mais Sarah allait appeler, c’était certain. Elle allait appeler. Il ne fallait pas s’inquiéter.

Elle n’avait pas appelé. Ni la première semaine, ni le premier mois, ni douze mois après. S’il lui arrivait de passer plusieurs jours sans y penser, son cœur se serra lorsqu’elle posa les pieds hors du taxi qui l’avait emmené chez elle. Fairview. Sa mère, un sourire rayonnant l’attendait devant la porte, son père se tenait droit derrière. Dany esquissa un sourire et essaya de ne pas écouter son cœur lourd qui pesait tel un poids dans sa poitrine. Quel fou était-elle pour croire qu’elle avait réussi à oublier Sarah ? Revenir était une mauvaise idée et pourtant, elle n’avait pu se résoudre à rester loin. Elle avait grandit ici, dans cette rue, c’était chez elle. « Tu viens ? » La portière s’ouvre et Cléo lui tend la main, un sourire aux lèvres. Dany secoue la tête pour se sortir ses souvenirs et acquiesce. Attrapant sa main tendue, elle se hisse de sa voiture et lève les yeux juste à temps pour voir la blonde s’approcher d’elle et déposer un léger baiser sur ses lèvres. C’est si peu et pourtant signifie tout. Qu’elles sont ensemble. Dany ne pouvait se résoudre a utiliser le mot couple car cela signifierait que leur relation est parfaitement définie. Non, elles sont ensemble. La française voit le sourire de sa mère se ternir légèrement avant de remonter, signe fugace de ses pensées. La plupart du temps, Dany aussi pensait que cette histoire était ridicule, rien de plus qu’un leurre, un moyen d’écarter la douleur, la tristesse, la solitude. Et quelques fois, entre ses bras, elle arrive à oublier, à tout oublier et se sent bien. « Bienvenue chez toi ma chérie. » Sa mère la sert dans ses bras, fort, longtemps. Et finalement, elle lui glisse à l’oreille. « Tu l’as dit à Sarah ? » Son cœur tremble, son visage se ferme. Pour le lui dire, il aurait d’abord fallut lui parler. Et à quoi bon, qu’aurait-elle pu annoncer ? Tu me manques tellement que j’ai décidé de coucher avec ma colocataire ? Non, c’était ridicule. Et pourtant. Pourtant elle aurait fait n’importe quoi pour la voir, lui dire. Parce que cela aurait au moins signifiait lui parler. Elle lui manquait toujours. C’était constant. Elle lui avait prit une partie de son être et la tenait prisonnière de ses désirs. « Non. » Dany se construit un sourire, celui qu’elle affiche la plupart du temps, celui qui dit qu’elle a été brisée mais qu’elle est toujours debout. « Rentrons. » Elle cherche la main de Cléo et la serre. Réconfort factice dans cette foret de brouillard.